"Brasilia Carnaval!": globalisation oblige, l'accélération des échanges nous conduira dit-on à tous hériter d'un teint brésilien dans quelques dizaines de générations!
Le métissage de l'esprit sud-américain quant à lui est déjà au travail ou plutôt à la fête au vu de la réussite exemplaire, météorique et unique, du fumeux carnaval brésilien recyclant les traditions de la vieille Europe. Mais fouillons dans les livres pour retrouver l'origine portugaise du Carnaval certes complètement transformé après la décolonisation et la redécouverte par le peuple brésilien de ses racines africaines.
Le carnaval est arrivé au Brésil dans les caravelles au moment de la colonisation portugaise. Cependant, ce moment de réjouissance appelé "Entrudo" n'avait pas grand chose à voir avec les grands galas bourgeois du XIXième siècle et encore moins avec la fiesta généralisée faisant la loi à partir de 1930 à Rio.
L'Entrudo, signifie "entrée" au moment de l'arrivée du printemps, symbolisée par le mannequin Joao accompagné de Dame Carême déambulant dans les bourgs portugais avant leur enterrement grandiloquent et les festins pantagruéliques à base de cochonnailles et crêpes.
Des farces grossières se jouaient dans les familles à base de barbouillages mutuels et aspersions diverses (farine, boue et liquides inavouables), des "invasions" s'organisaient d'un village à l'autre où règle était de produire le plus grand tapage, enfin des bals clôturaient la fête. Cette allégresse villageoise bourrue s’opérait dans la communion générale mais la séparation entre sexes et milieux sociaux était insurmontable et s'achevait dans des simulacres de bagarres générales avec force propos orduriers.
La nouvelle formule de l'Entrudo, baptisée Carnaval n'apparut qu'au XIXième siècle avec les bals masqués bourgeois dans les théâtres et hôtels des grandes villes portugaises, parallèlement des bandes rivales de jeunes pauvres déguisés s'affrontaient en chantant ou en se bagarrant et toujours en arrosant les passants par les fenêtres….
En 1889 est annoncé à Lisbonne le premier Roi Carnaval, premier emprunt au carnaval de Nice, à ses cortèges de chars en carton pâte baignant dans les jets de fleurs et confetti. Dès lors le luxueux et élégant carnaval des villes se dissocie du trivial et salissant Entrudo des villages portugais.
Au Brésil l'évolution fut identique, de l'Entrudo au Carnaval, à l'exception des aspersions d'eau remplacées par des jets de citrons et oranges en cire ainsi que d'eau parfumée. D'autre part l'Entrudo brésilien semblait plus se traduire après le rituel combat de projectiles par un rapprochement entre les sexes. Enfin les Noirs participaient parfois déguisés en femmes ou singeant les autorités ou encore en jouant des drames historiques.
Cependant l'Entrudo et ses fêtes coutumières finirent radicalement par disparaître, contrairement au Portugal, avec l'émancipation de la nation brésilienne. Essor économique d'abord, avec l'ascension des nouvelles fortunes du café, les raffinements du Grand Carnaval allèrent de pair avec la grande ville que devint le bourg de Rio.
Et surtout la famille royale chassée du Portugal par les troupes de Napoléon se réfugia à Rio en 1808. En 1822 Pédro Ier proclame l'indépendance et y sera couronné empereur.
Malgré son goût pour les réjouissances de l'Entrudo, la très riche mode des bals masqués venue d'Europe marquera la rupture en 1849 qui sera ensuite consommée avec l'apparition des sociétés carnavalesques organisant les défilés de chars. En 1889 la République est proclamée, l'Entrudo agonise.
Le grand Carnaval bourgeois est ponctué l'après-midi de promenades en voitures, des prix étaient offerts aux plus beaux cortèges et déguisements dans les bals. Mais le Grand Carnaval financé par les riches excluait les Noirs et mulâtres réduits à festoyer au son des tambours au fond des impasses, ils constituaient le Petit Carnaval et paradaient en troupes (les ranchos), déguisés en Indiens recouverts de plumes.
Contrairement aux valses et polkas du Grand Carnaval, les ranchos avaient leur musique et leur danse spécialement crées pour l'occasion.. Cependant ces troupes d'ouvriers ne se mélangeaient pas aux pauvres erres des favelas de Rio encore plus défavorisés. Tolérés par les autorités, les ranchos sont à l'origine de la création des fameuses écoles de samba vers 1928 qui furent autorisées à défiler en 1936 dans le centre de Rio...
Les écoles dépendent d'une fédération de “sages" ayant la haute main sur la sélection officielle... La fédération brésilienne choisit aussi les médias autorisés à couvrir la parade, le prix des places et récompenses, etc... Les écoles dites "de première catégorie" et elles seules sont autorisées à défiler le dimanche gras sous les gradins. Les autres animent le centre de Rio ou sont même cantonnées dans les faubourgs.
Le jury établit ensuite son palmarès en général dans un climat très tendu de suspicion mutuelle, en fonction de différents critères: l'harmonie du cortège, la qualité de la samba jouée par la batterie, l'allégorie des chars et costumes, l'élégance de la femme porte-étendard, du maître de cérémonie et le thème d'ensemble. Les cortèges sont très minutieusement réglés et la mise en scène est confiée à un "carnavalesco", souvent un diplômé des Beaux Arts que les écoles s'arrachent à prix d'or. Mais avec quel argent ?
Les frais très lourds générés par le faste des cortèges sont en partie couverts par des répétitions payantes données toute l'année et devenues de véritables spectacles de discothèque. Mais la ressource financière principale, plus occulte, tient à l'histoire chahutée du carnaval carioca. L'explosion des écoles de samba a suivi celle des faubourgs de Rio, ces quartiers cosmopolites et déshérités de la périphérie, souvent livrés à la délinquance.
Les faubourgs contrastent certes avec le centre ville des nantis mais n'ont rien à envier aux fameuses favelas, ces ghettos perchés à flanc de colline où le carnaval ne peut subsister face aux ravages de la drogue.
A cette époque les réjouissances étaient réservées aux bourgeois investissant dans les bals masqués et batailles de confetti. On interdisait aux noirs et mulâtres d'y prendre part et même de se réunir. Cependant les petits salariés et chômeurs, pour braver la police, prirent goût à des batailles générales. Mais surtout leur musique et leurs danses finirent peu à peu par incarner l'élan de cohésion national naissant, si bien que l'élite elle-même s'adonna à la fièvre rythmique. L'invention du phonographe puis de la radio achevèrent d'imposer la samba comme danse nationale.
La première école de samba, Mangueira, fut fondée en 1928 dans un faubourg autour d'une école d'ouvriers. Vers 1936, la participation des écoles fut autorisée sur un boulevard par la mairie de Rio, qui mettait ainsi de son côté la population ouvrière en très forte augmentation de par l'essor industriel du pays. En 1940, on autorise les écoles à défiler sur les avenues, au moment où le corso bourgeois, se déplaçant en auto, a quasiment disparu.
Mais c'est en 1946 que le petit carnaval des faubourgs et ruelles va définitivement supplanter le grand carnaval des boulevards grâce à l'interdiction des jeux de hasard et aux effets pervers de cette mesure. En effet, dans la jungle de ces loteries faisant miroiter aux pauvres une fortune rapide, le "bicho" était devenue une véritable institution rendue clandestine par l'interdiction des jeux, tout comme l'était auparavant le carnaval de rue. Cependant le banquier de "bicho" trouvait la parade en s'associant avec l'école de samba du quartier: il la finançait et en échange profitait du réseau d'hommes de confiance de l'école, lui permettant de soudoyer la police et les politiciens.
Contrôlant en même temps les clubs de foot locaux, les banquiers clandestins se firent nommés présidents des écoles ! Ils s'établirent dans de luxueux sièges sociaux pour faire fructifier leurs intérêts, du reste diamétralement opposés de ceux des pauvres, représentant pourtant la totalité de leur clientèle. Les jeux clandestins restent plutôt la spécialité des quartiers du nord de Rio et de ses afro-brésiliens qui sont indubitablement les véritables acteurs de Carnaval.
La zone sud bourgeoise a, elle seule, les moyens d'être spectatrice de la fête organisée dans le faste et la discipline par, et c'est le paradoxe, le prolétariat du nord. Les rôles des classes paraissent ainsi, dans une certaine mesure, inversés, même si, c'est là peut-être le secret de ce carnaval brésilien, elles restent intimement liées dans cette théâtralisation des rapports, où toute revendication bien réelle est par ailleurs interdite. ©