Le cirque cache bien son jeu. D'abord il existe depuis la nuit des temps et les mythiques jeux antiques. Ensuite en y réfléchissant bien le cirque apparait comme une des premières vraies réussites de l'Europe qui à l'époque n'existait même pas. Avec ses origines italiennes, ses apports anglais, français et allemands, le cirque est à l'échelle du vieux continent l'expression de la culture de plusieurs peuples et de sa représentation sous forme de spectacles dont les succès font des légendes à travers les siècles et la légende des siècles tout court.
Bien sûr comme toute bonne idée, le cirque n'a pas manqué de se faire récupérer par la logique mercantile américaine en lui imposant une taille de chapiteau XXL. Heureusement le cirque contemporain a sauvé (presque) pour toujours l'esprit du cirque en autorisant les étoiles de la piste à repousser les limites du possible et de l'imagination..
Vous aimez le cirque? Alors vous savez que s'il cache bien son jeu, c'est parce que ses artistes ont plus à voir de tous temps et en toute humilité avec la création et le goût de l'exploit, qu'avec le show-business ou la fortune matérielle. La règle dit juste que le spectacle s'organise dans une enceinte circulaire fixe ou mobile.
Et au début furent les numéros de force et d'adresse qui survécurent aux arènes et à l'empire romain, grâce aux troupes itinérantes qui ont sillonné l'Europe médiévale. Jongleurs, amuseurs, mimes, dompteurs, funambules: ils couraient de foires en parvis de cathédrales, et vous avez leurs noms sur la bouche... Oui, il s'agit de ces fameux saltimbanques (littéralement de l'italien "saute-en-banc") qui formèrent les premières troupes de cirque en s'associant à la fin du XVIII siècle à des groupes de cavaliers espagnols et anglais.
Après l'Italie, le génie du cirque passe en Angleterre, lorsqu'on ose imaginer que toutes les attractions puissent être réunies dans un même spectacle, toujours sur une même piste. Et pour rendre plus spectaculaires les jeux du cirque, l'écuyer anglais Philip Astley a l'idée de mélanger exercices classiques et sketches fantaisistes. il crée à Londres le "Royal Amphithéâtre of Arts", puis une succursale à Paris en 1783. C'est la grande époque des numéros équestres à base d'hardis voltigeurs et écuyères romantiques gravitant sur la piste avec l'aide de la force centrifuge.
Mais c'est aussi le début de la prise de pouvoir des clowns qui grâce à leurs gags permettaient des pauses dans les numéros d'équitation et de dressage. Et c'est aussi le début du feu d'artifice des grands numéros qui sont encore l'âme du cirque moderne: le rugissement de la cage aux fauves, le jaillissement de l'auguste face au clown blanc, le surgissement du trapèze volant inventé par le gymnaste français Jules Léotard qui lancera son numéro en 1859 au Cirque d'Hiver de Paris, ou encore la joie populaire lors du défilé de rue rassemblant éléphants, artistes cavaliers, chars et machines infernales...
A ce moment le cirque ambulant est roi, en Europe avec de grands noms tels que Franconi, des attractions toujours nouvelles et spectaculaires, des "curiosités" comme les mystérieux siamois et femmes à barbe, et plus poétiquement la pittoresque ménagerie qui deviendra un grand classique incontournable du monde circassien.
Cependant les fantastiques chapiteaux, énormes et colorés, sont vraiment l'emblème autant que le symbole des cirques, petits ou grands. Les américains ne s'y trompèrent pas dans leur éternelle course au sensationnel et au gigantisme, avec notamment le cirque Barnum and Bailey qui pouvait accueillir autour de ses trois pistes et trois spectacles différents simultanés jusqu'à 20 000 spectateurs. Chapiteaux et capitaux géants, mégastars telle Buffalo Bill mettant en scène la tragédie indienne, mégashows avec cavalcades géantes, le cirque ne cache plus son jeu et les enjeux.
Autre écueil, à partir de 1900, le cirque traditionnel se casse les dents sur le succès croissant du music-hall. Les artisans disparaissent et seules résistent les grandes marques industrielles du cirque ambulant telles Bouglione, Pinder et Amar. Alors le cirque a-t'il fini de cacher son jeu? Il peut en fait ne pas s'en faire en invoquant qu'un spectacle équestre de chez Zingaro sera de tous temps l'expression de la beauté pure, classique certes mais indémodable.
Il peut brouiller les pistes avec des spectacles tendant plus vers le music-hall, il peut aussi clamer que l'art du cirque est éternel comme le Festival du Cirque de Monte-Carlo le démontre chaque année sur le rocher avec de grands classiques renouvelés avec magie pouvant dépasser des limites chaque année... Ou alors, ou alors, pour survivre, le cirque doit casser les codes et se réinventer en toute liberté, en convoquant d'autres arts les plus inattendus, comme chez Archaos, Plume et le révolutionnaire Cirque du Soleil.
C'est fini ce cirque? Vraiment pas du tout! ©