Alors vous avez décidé de vous offrir dans votre salon un luxueux ensemble de musique classique et tout le monde sera sur son 62 (soit 31 fois 2) ? Détendez-vous: la musique classique c'est d'abord de la musique populaire, celle que l'on a pu conserver à travers le temps. Pas n'importe quelles partitions bien sûr, celles qui donnaient envie d'être partagées et encore fallait-il qu'il existe un répertoire, ce qui n'était pas le cas avant le XIXème siècle et un certain Beethoven.
Et puis entre nous la musique dite savante comme par exemple celle de la Renaissance empruntait tout autant aux pointures du chant grégorien qu'aux troubadours en savates du moyen-âge. De la musique baroque jaillit aussi les lourds effluves de danses populaires... Y-compris le grand Bach a mis dans son bac d'influences de la bourrée et une bonne dose d'autres musiques de danses dont la Polonaise. Les folklores nationaux jusqu'aux musiques de villages ont inspiré beaucoup les romantiques, puis le jazz ou le blues au XXème siècle pour certains génies comme Gershwin... Inversement la musique pop et rock d'aujourd'hui, qui sera le classique d'après-demain, ne fait que recycler avec verve bien sûr, à travers le langage tonal, les accords et harmonies venant du classique et du baroque, qu'il s'agisse des grands noms du hard-rock ou du rock progressif comme Yes ou Genesis...
Comment? J'entends certains qui gloussent dans leur collerette et veulent ramener leur fraise! "Pour qui prenez-vous nos experts de la viole de gambe? Pour de vulgaires guitar-heroes?" Bon c'est presque ça, pas tout à fait bien sûr: à chacun son époque. Mais maintenant, avouez que la musique classique ressemble plutôt à un best-of du populaire construit certes autour d'expérimentations, mais presque toujours avec pour ingrédient un carburant issu de l'ordinaire de la culture humaine. Bon pour ceux qui y tiennent et fétichisent: "LE" classique de chez classique existe vraiment, il renvoie au grand musée des monstres de la musique classique des XVIII et XIXème siècles. Mais hormis cette période, un grand voyage dans le répertoire non-écrit des big classics depuis l'aube de l'humanité s'impose.
A l'origine des instruments était le tambour, rejoint par les instruments à vent et à cordes tels que flûte et lyre qui enjolivèrent les premières civilisations de l'Antiquité. En Grèce la musique est déjà un Art majeur fondé par le mythe d'Orphée. Puis les tragédies mettent en scène des acteurs dans des théâtres abritant un choeur dans l'orchestre, tandis que Pythagore montre l'essence mathématique de la musique et que Platon la voit comme une gymnastique de l'âme. Avec moins de finesse les Romains font sonner leur musique comme plus festive voire même spectaculaire; en gros du boucan pour jeux de gladiateurs à fond les percus: on est passé du savant au popu, sans que personne ne s'en plaigne, pas même Spartacus qui avait d'autres chats à fouetter...
D'Athènes et Rome, découle le chant chrétien et la musique chorale des premiers siècles, puis le chant Grégorien unifiant les rites sous Charlemagne et inventant le premier système de notation de la musique. Puis ceux sont les débuts de la polyphonie et vers l'an 1000 l'apparition des notes baptisées de Ut à Si. C'est aussi le temps de la musique populaire chantée et non écrite des troubadours vantant l'amour courtois et de la musique sacrée manuscrite, de l'école de Notre-Dame puis de l'Ars Nova et toujours au temps de la polyphonie, au sein des cathédrales, de l'école franco-flamande qui jettera les bases de l'harmonie.
Grosse révolution en 1501: grâce à l'invention de Gutenberg est publié le premier livre de musique imprimée. On va pouvoir dès lors emplir sa bibliothèque de classiques, dont par exemple la grande nouveauté du moment, le madrigal, ancêtre de l'opéra, dont Claudio Monteverdi est le grand activiste en réaction à la trop grande complexité de la polyphonie. Les musiciens italiens sont alors princes en Europe, mais deux Français Lully et Rameau font de la résistance, une sorte de french touch sans casques mais en perruques. Et dans cet enchantement de la musique rayonnante tout autant que baroque, Jean-Sébastien Bach atteindra le premier, au niveau de ses compositions, le 20 sur 20 indiscutable.
A la fin du XVIIIeme siècle, la mélodie prend le dessus au détriment du contrepoint. Et dans cet exercice et dans tous les domaines musicaux un autre super-héros met d'accord tout le monde en obtenant 21 sur 20: un certain Wolfgang Amadeus Mozart. On entre alors au coeur du classique du classique avec celui qui semble avoir capté tout l'héritage des "savants" de la musique "classique" occidentale: Ludwig Van Beethoven, qui fait de la symphonie, l'oeuvre artistique ultime. Il porte le romantisme musical à son paroxysme et emmène une légion héroïque de compositeurs légendaires: les Allemands et Autrichiens, Schumann, Schubert, Brahms et bien sûr Richard Wagner et Gustav Mahler, les Français Hector Berlioz ou Frédéric Chopin.
Le romantisme au delà de l'absolu donc, et bien plus, puisque cet âge d'or offrait au XIXème siècle un plan B tout autant sentimental, exaltant et lyrique, l'opéra italien : du chant rempli d'âme et un orchestre symphonique, comme avec Puccini, et puis il y avait aussi Rossini, Verdi... Mais tout cela parut trop beau pour qu'on n'en se lasse pas. Et la musique classique n'eut à nouveau plus rien de classique puisqu'elle s'offrit une rupture presque mortelle: pas moins que la recherche d'une nouvelle composition musicale dans laquelle l'expérimentation de nombreux systèmes acheva d'installer un paysage interstellaire.
Pas plus popu, que classique, c'est le domaine de la musique d'avant-garde occidentale, en avance depuis bien (trop) longtemps, avec le dodécaphonisme de Schoenberg et Berg ou bien le sérialisme de Pierre Boulez ou Stockhausen. Alors on se dit que Maurice Ravel ou Stravinsky, en s'imprégnant encore de folklores d'Europe ou d'en dehors, avaient un peu moins de prétentions avec leurs réminiscences popus. Enfin au delà du classique, il y a Debussy. Et ses derniers mots: « Il n'y a pas de théorie : il suffit d'entendre. Le plaisir est la règle » ou encore « La musique doit humblement chercher à faire plaisir, l'extrême complication est le contraire de l'art » et enfin « Être supérieur aux autres n'a jamais représenté un grand effort si l'on n'y joint pas le beau désir d'être supérieur à soi-même ». Classe et classique. ©