Alors que tous les genres musicaux tournaient un peu en rond, la fée électro tira toutes les gammes, des pauses et soupirs dans lesquels elles flétrissaient. Avec tellement de réussite que la fée se mua en sorcière des musiques électroniques que rien ne semblait arrêter... Les machines allaient-elles apprivoiser l'homme qui les avaient inventées?
Ce vieux mythe qui mène aujourd'hui au transhumanisme, ces trucs de mutants, lubies et inventions aux réactions sans fin programmées par les firmes géantes du numérique, déferlent partout dans les sciences mais, bon, pas de panique encore vraiment dans les Arts, à moins que les gars de Daft Punk, nos mutiques gars de la french-touch, n'aient vraiment rien d'autre sous le casque qu'un condensateur...
C'est après-tout logiquement que les futurs révolutionnaires des ondes élurent domicile dans des studios de radiodiffusion, tel Pierre Shaeffer et ses expérimentations de musique dite concrète à la RTF de Paris dès 1958. Additionné de sons électroniques, la musique concrète devient électroacoustique et génère avec Pierre Henry son premier hit avec cloches joyeuses et bruits en série, le fameux "Psyche Rock", qui n'aura jamais pris une ride, même longtemps après 2050.
Les années 60, c'est déjà le début de la révolution informatique avec l'apparition des premiers synthétiseurs qui ressemblent plus à des usines à gaz, dont notamment le Moog de 1964, le premier proposant un clavier, comme on jouait sur un piano debout (ou assis). Ca y est, la machine infernale est (plus ou moins) au point mais encore instable comme de la TNT, elle va envahir les différentes chapelles de la musique pop ou "savante" sans crier gare. Tout sauvage qu'il est, le rock est contaminé dès 69 (année érotic-tac) par le numérique grâce à George Harrison dans l'album des Beatles, Abbey Road. Et dans la décennie psychédélique, c'est une vague dégueulante de sons électroniques qui dévale dans tous les courants, des Beach Boys à Yes, de Led Zeppelin à Pink Floyd, engloutissant les sommets du rock cérébral comme les abysses du rock'n'roll circus.
L'Europe électronique se tétanisera aussi tout en se teutonnisant: les allemands de Kraftwerk avec leur couche d'expressionnisme dénonçant par l'absurde l'enfer de la technologie et ceux de Tangerine Dream mettant au point la musique planante, sans fumée et sans alcool mais avec des nappes sonores qui ne font pas se plier en deux facilement. Bon, nous on a rien à regretter puisque on hérita en France de Jean-Michel Jarre et son infantilisant Oxygène, bourré de gaz hilarant et manquant cruellement de CO2...
Alors les cerveaux et virtuoses du jazz auraient-ils eu besoin de s'électriser les neurones pour booster leur production? Oui et non, puisqu'ils l'utilisèrent en pionniers comme nuls autres pour opérer des fusions, comme dans des équations chimiques, entre molécules musicales, atomes rock, soul ou funk... Les premiers alchimistes du jazz-fusion furent le magicien Miles Davis, les groupes Weather Report, Mahavishnu Orchestra et le génie en Herbie Hancok qui attendra 1983 pour synthétiser l'hymne du genre: "Rock It" extrait du bien nommé "Future Shok".
Et d'après vous combien de temps la musique dite populaire a-t'elle attendu pour frayer avec les pulsions électroniques? Pas une seconde bien sûr, ni même le temps d'une rotation d'électron ou de neutron. Les musiques électroniques se sont dissoutes dans tous les tops pop des années 80 en Europe: de Human League à Eurythmics, de Visage à Orchestral Manoeuvre, d'Alphaville à Pet Shop Boys et de New Order à Dépêche Mode: bref de la dance-music la plus écarlate au rock le plus diffus et intimiste, du dub au trip-hop, de la new wave au bruitisme en passant par l'indus.
Dites la musique électronique ça a l'air de chauffer les esprits, pourtant on en a pas besoin pour aller danser? Heu! En fait on n'a jamais autant écouté de musique électronique qu'en discothèque.... Car les délicieuses années funk et disco ont accouché de deux monstres aussi amis que meilleurs ennemis: la house de Chicago et la techno de Detroit ont allumé les pistes comme des sapins de Noël, notamment dans les années 90. La house, c'est la première langue des disc-jockeys, tout autant musicos que DJs, dont le magicien initial du genre est l'hallucinant Frankie Knuckles de l'historique club, le... Warehouse. L'autre provenance moins clinquante (quoique) du terme house vient de ce genre de musique artisanale fabriquée à la maison sur des synthés, une sorte de disco discount avec sa ligne de basse funky et ses voix samplées, le tout enregistré sur cassette pour espérer passer en boîte: autrement dit en deux mots, la "Culture Club"!
La house au tempo rapide mélange des sons électroniques venus du blues, jazz, soul, salsa, RnB et des synthés pop, contrairement à la techno où les synthés sont omniprésents à tendance rock. En 77, est élaborée la fusée expérimentale de la house par le sorcier Giorgio Moroder, "I Feel Love" par Donna Summer. Dès 80, les DJs mitonnent leurs remixes en allongeant et triturant les titres grâce au mix de deux exemplaires du même disque. Et à la fin des années 80 d'énormes tubes consacrent le genre, avec Maars, BlackBox, Technotronic ou l'inévitable "en Vogue" Madonna pour enfoncer le clou. Au début de la décennie 90 des morceaux encore plus secoués rallument la house avec EMF, KLF ou Dee-Lite et l'hymne hypnotique "Groove is in he Heart".
Et quid donc alors de la techno, la face obscure et non cachée de la house music? La techno est un frère terrible contre nature, plus répétitive et moins latine, plus synthétique et electro alors même qu'elle tombe à Detroit au milieu des années 80 de son berceau qui fut aussi celui de soul et de la funk, lorsque le label Motown faisait moover le monde. La techno, c'est comme si on enfermait dans une cabine téléphonique des architectes allemands de la musique synthétique tel Karftwerk et des électrocutés progressistes du funk comme Prince ou Clinton. En gros, le mot est lâché, la techno est plus high-tech que la house, plus machinique et a priori déshumanisée. Sauf qu'elle commet aussi ses gros tubes comme avec Inner City. Sauf que surtout de retour en Allemagne, cette musique de synthèse boucle la boucle en facilitant après la chute du Mur de Berlin, via les raves underground, ni plus ni moins que la réunification de la jeunesse allemande qui inventera à Berlin en 89 la première Love Parade. En 2015, Ellen Allien, DJ du Trésor à Berlin, est encore la prêtresse du genre et sans conteste ambassadrice de la techno de Detroit. A Paris RDV au Rex, au Queen, au Pulp ou dans votre home-studio avec du Laurent Garnier ou du Jeff Mills pour disque de chevet!
Et aujourd'hui? La musique électronique est dans tous genres du rap au rock, chacun peut en fabriquer dans son studio virtuel et la diffuser via les réseaux sociaux. Reste à repérer les chefs d'oeuvre: en 2000, aube du millénaire, c'était plus facile, on écoutait en boucle "Kid A" de Radiohead. Du rock dans l'électronique et inversement. Aujourd'hui tous les sous-genres se mixent entre eux en se baignant à la source electro, le terme à la mode qui a supplanté techno dans les médias, après l'indigestion de parties pour sourdingues dans nos campagnes à une certaine époque. Mais précisément le genre électro dans le maelstrom des musiques électroniques est un mélange explosif de boîtes à rythmes et de samples de funk le tout baignant dans des nappes futuristes. Sous les cendres incandescentes de la disco, les premières formules magiques sont celles dès 1980 des japonais de Yellow Magic Orchestra et des allemands de Kraftwerk avant que le producteur du Bronx, Afrika Bambaata, ne fasse la synthèse du tout avec la bombe "Planet Rock"... L'énergie électro est tellement explosive et diffuse qu'elle semble se vaporiser dans toutes les années 80 et de dissoudre dans le rap, pour mieux ressusciter dans les 90', dans des courants aussi divers que la new wave, le trip hop ou même, ô joie, la french touch.
Par exemple vos vacances se passent à siroter avec application des litres de cocktails dans des salons ou au bord des piscines... Vous êtes donc atteint par le syndrome lounge qui fait qu'embué musicalement (et alcooliquement) vous allez perdre des pyramides de jetons au casino du coin pour mieux aller vous enfermer de dépit dans l'ascenseur de l'hôtel et écouter avec fascination la musique du même nom. Bien sûr on plaisante, car la musique souvent kitsch des piano-bars des années 60 s'est muée en musique expérimentale, toujours apaisante et fusionnant nombre de styles, dans une cascade de reprises de standards universels. Des DJs français en sont encore les grands chamanes, tels Stéphane Pompouganc avec la collection Hôtel Costes ou Claude Challe avec la série Buddha Bar.
La musique lounge est un lointain écho de la musique planante des années 70, purement électronique, voire contemplative. Il suffisait de s'allonger et de regarder le plafond en écoutant les compositions cosmiques des allemands de Tangerine Dream. Moins rock, plus zen et optimiste, la grande mode du new age déstressera tout organisme humain avec un cours de yoga offert dans chaque CD, jusqu'à devenir un grand fourre-tout, un peu stressant finalement. Un autre bazar de la musique athmosphérique et planante, pas forcément électronique, sera organisé autour du terme Ambient, une réunion convoquant par exemple dans le même hamac, Pink Floyd et Erik Satie... Mouarf!
Infiniment plus passionnantes furent les dérives sans règles des deux grands courants de la musique, le rock et le jazz, qui goutte après goutte, note sur note, furent affectés puis contaminés par les musiques électroniques. Le rock d'abord qui se dilua en évitant le suicide punk dans l'agitation électronique, tel feu l'emblématique Joy Division devenu New Order, passé de la cold wave suicidaire à la dance rebondissante mais toujours toute autant bourrée d'électronique avec presque un personnel identique. David Bowie et Brian Ferry montrèrent la voix, et les synthès firent leur raz de marée tous azimuts dans la pop mondiale qui était surtout anglaise dans les années 80. Pour preuve cette incroyable brochette d'abonnés des Tops avec des étincelles et des claviers: The Cure, Depeche Mode, Tears For Fears, Yazoo, Pet Shop Boys, Bronski Beat, Spandau Ballet, Culture Club, mais enfin que faisaient les agents de The Police vaporisés tels des "Ghost in the Machine"?
Le jazz, on l'a vu et écouté très fort, s'était déjà compromis dans le rock et les machines grâce à Miles et Herbie dans les seventies. Encore plus de sons électroniques et bonjour le nu-jazz ou électro-jazz, succédant à l'acid-jazz et son trop-plein de soul. Le big bang de la scène nu-jazz consacre mondialement le DJ français Ludovic Navarre et son groupe Saint Germain. Dans l'univers du jazz climatique du label allemand ECM, l'électronique, mène encore plus loin à des contrées infinies, comme avec les Norvégiens Wesseltoft, Garbarek ou Molvaer.
Mais la dernière grande révolution de l'électro et donc des musiques électroniques date du début des années 90: à Bristol naît le trip hop, un cocktail inquantifiable de dub, soul, jazz, hip-hop, breakbeat et électronica, bref un mélange de genres sans qu'un seul ne soit prépondérant avec pour ambassadeurs Massive Attack, Hooverphonic ou Morcheeba, dans un climat toujours éthéré où les voix cold wave sont réchauffés par des samples swing. Le courant downtempo ou chill out est le dernier avatar du grand trip des musiques planantes électroniques, moins baroque que le triphop mais tout aussi lent, le downtempo détend car beaucoup plus sous le soleil exactement. Ainsi le groupe emblématique, Thievery Corporation, un duo de musiciens de Washington DC vous refilera le good electro trip avec crème à bronzer et mix de musique brésilienne, dub et reggae... Et dans ce genre, un zeste tropical, les Français de Telepopmuzik et Wax Taylor ne sont pas en reste.
Sur tous les fronts de l'électro, le miracle arrive à l'aube du XXIeme siècle: les frenchies raflent la mise grâce au duo de DJs parisiens Daft Punk. Les potes du lycée Carnot s'imposent aux yeux (MTV) et oreilles du monde comme les architectes d'une nouvelle Odyssée de la space music. Inspirés non par Kubrick mais par De Palma, et son orgasmique "Phantom of Paradise", les mystérieux casqués réussissent leur putsch mondial en faisant danser le tout Hollywood, tout en gagnant à Los Angeles cinq grammy awards et en mettant d'accord avec "Get Lucky", non moins que trois légendes de la pop-dance-music: le mythique Stevie Wonder, le chicissime Nile Rodgers et l'actuelle idole planétaire Pharell Williams.
Pourtant 20 ans plus tôt un magazine britannique les traînait dans la boue en traitant leur musique de punk pourri, "Daft Punky Trash", ce qui leur inspira leur nom de scène et leur premier bras d'honneur, non pas à la célébrité que personne ne prévoyait mais au manque de prise de risque de médias pourtant faiseurs de mélodies et de comptes en banque bien pourvus. En seulement 4 albums, Daft Punk, a écrit la formule magique de la fusion électronique incluant funk, soul, électronica, rock, disco, new wave: un dosage parfait de techno et house, avec en prime des morceaux fruités de vocoder à l'accent camembert...
Seconde bonne nouvelle, les Da Funkers sont surtout les 2 arbres qui cachent une mirifique forêt française électronique, dont les bûcherons déboisaient le style depuis déjà les années 90. Il faut dire avec cynisme que la seule bonne action de Margareth Tatcher aura été de déporter grâce à son interdiction les premières raves techno en France. Les pionniers du genre Laurent Garnier puis Etienne de Crécy ameutent les troupes en perfectionnant la synthèse techo-house et l'apport jazz-hiphop. Dès lors une prolifique portée de gros bébés de la french touch épate la scène musicale dès le milieu des années 90 avec pour noms et néons toujours en haut de l'affiche aujourd'hui: Air, David Guetta, Cassius, Justice, Dimitri from Paris, DJ Cam, C2C et bien sûr Alex Gopher, le mixeur en série. ©