L'effet Gospel? Transposé dans la langue du management d'entreprise on dira que ça équivaut au choix à un sacré coup de boost ou à une bonne claque! Croyant ou pas, qui n'a pas, en s'initiant au rythme et à sa respiration intérieure, entrevu un souffle d'énergie intarissable venu de... je ne sais où.
Au fait d'où vient le Gospel? De Godsspell qui sigifie Evangile en anglais et des vieux chants protestants blancs mués en prêches enflammés du peuple noir américain à travers le don du swing et de l'improvisation dans des hymnes exubérants, ponctués par des amen de joie et de communion entre le prédicateur, le "preacher", et ses fidèles, et finalement l'assemblée entière et le public atteints par une félicité hautement contagieuse (mieux que 10 cours de Zumba et de yoga réunis).
Si le gospel chante et exalte le Nouveau Testament, son ancêtre, le Négro Spiritual met en musique l'Ancien, dès le début du XIXème siècle, du temps sinistre de l'esclavage, où les noirs évangélisés interprétaient les chants occidentaux dans une veine africaine, non sans foi mais dans une couleur musicale plus que vive (sans jeu de maux). Vers 1870, les claquements de main et les instruments tels que orgues et harmoniums résonnent de plus en plus dans les églises.
Le gospel fait sa révolution au début du XXème siècle, un style modernisé que symbolise par exemple le discours énergique entre le pasteur et le groupe, un feeling affirmé et donc une énergie décuplée. Une libération au sens propre comme figuré, puisque le gospel va non seulement s'imposer dans les fêtes tels que mariages et cérémonies, et surtout à la scène pour les plus gros concerts et tournées, donnant sans doute pour la première fois à une musique sacrée une audience grand public.
Beauté des voix "a capella" et mysticisme d'un peuple qui a tant souffert, hérités du Négro Spiritual, auxquels on associe l'incroyable interactivité et la gnaque survoltée du gospel et de ses prédicateurs à la limite du happening en transes et de l'extase tutoyant le Divin, c'est la recette de cette musique transcendante et joyeuse qui finalement en toute simplicité relie les hommes dans un espoir joyeux et les surhommes peut-être aussi d'ailleurs, mais rien n'est moins sûr...
Et, O Happy Day, ces chants des Evangiles et véritables prières musicales deviennent des Gospels Songs hyper pros, mâtinés de styles profanes, tels jazz, blues ou funk, plus générateurs de dollars... Le prêcheur chante le couplet, le refrain est chanté par un choeur souvent féminin, des guitares électriques et la batterie surgissent aussi. Mais avant il faut rendre un hommage amène aux fameux quartets vocaux dérivés des chorales noires, avec au premier rang le mondialement connu Golden Gate Quartet. Un quartet est composé de deux ténors une basse et un baryton et déchaîne son choeur à la mode des barbershop singers qui se défoulaient dans les échoppes des coiffeurs.
Immédiatement après, dans cette musique du bonheur, on ne peut espérer que le plus grand des concerts impossibles réunissant les plus grandes dames du gospel, Mahalia Jackson, la première étoile du genre qui maria Blues et Gospel, tubes et chants de Noël, et toutes celles qu'elle inspira, de la sublime Aretha Franklin à la divine Whitney Houston. Maintenant vous l'avez cette révélation? Yes, le gospel est le père miraculeux, le godfather de quasiment toute la musique américaine, la soul et donc le RnB, le blues et donc le rock, le jazz et donc le funk, ah oui quand même, ça alors, nom de Dieu...
Reste l'ADN social et la marque de fabrique politique de cette musique magique à la fois profane et sacrée qu'il faut surligner: le gospel est d'abord un courant de révolte contre l'Amérique raciste de l'époque, un long chemin de croix de l'Amérique noire sous Lincoln qui les libéra sans amour, un long chemin faisant, jusqu'à un certain Obama symbolisant, quoiqu'on puisse penser de son action, la surprise divine, du moins historique. Entre-temps l'essence du gospel avait changé de flacon. La musique de l'âme s'était déjà passablement pervertie dans le jazz, ne parlons pas du rock. Les dernières étoiles bien sages du genre, le Golden Gate Quartet, même si elles illuminèrent les plateaux de variétés jusqu'au Collaro Show en France, étaient passées d'âge en renvoyant irrévocablement à l'entre-deux-guerres.
Alors on inventa l'étiquette et redoutable fourre-tout, le rythm and blues, ou RnB, autrement dit tout ce qui est black et pas complètement jazz mais dérivé du gospel et du blues: une sorte de maelstrom opaque dans lequel on aurait jeté un sèche-cheveux. Entre nous ça vaut encore mieux comme image que le pitoyable terme de "race music" qui perdura jusqu'en 1949 jusqu'à ce que la bible du Bilboard n'impose pour 20 ans son classement bien nommé "Hot R&B / hip Hop songs". Comme son nom l'indique la star est donc le blues et la guitare électrique, les pionniers s'appellent Cab Calloway ou Count Basie, les paroles sont souvent à caractère sexuel... Le berceau du rock est prêt avec Little Richard, mais la comète RnB ne s'arrête pas là, la racine gospel mûrit et se mue funky au milieu des années 50, sous la houlette de parrains de légende, James Brown et Elvis Presley ou encore Fats Domino et Ray Charles...
Tout est prêt pour une nouvelle réaction en chaîne qui mènera à un beau bébé, qui n'aura rien à envier au jazz ou au rock et qui aura surtout pour effet de donner un sacré coup de jeune au parti de l'âme... Le courant gospel, transformé en rythm and blues revient à ses racines et devient tout simplement soul. Il convertira plus que jamais les masses avec de nouvelles sonorités et l'appui industriel des mythiques maisons de disques Motown et Stax.
Le purificateur absolu du rythm and blues devenu soul est Ray Charles qui marque littéralement le coup à la fin des fifties avec deux albums: Soul puis Soul Meeting pour ceux qui auraient raté le premier épisode: une sorte de résurgence du negro spritual 100% black et de résistance au rock triomphant qui, white or black, s'écartait du chemin de l'Eglise. Mais c'est surtout la première fois que la musique black américaine se montre irrésistiblement commerciale.
Noire ou blanche, la soul va exploser dans les sixties, avec aux tiroirs-caisses, le label Stax lancé par un blanc et sa blue eyed soul music, et sutout la mythique Motown fondée par le manager black aux dents longues, Berry Gordy, qui lancera avec claquements de main, grosses basses et violons, Diana Ross et les Jacksons Five. Cependant un troisième larron, le studio Muscle Shoals, produira la soul la plus représentative et classique de l'époque avec les premiers tubes d'Aretha Franklin ou Percy Sledge. Pourtant la soul, trop pure (trop lisse), sentait-elle trop le savon? Et pas assez la sueur des jams de rue de la Nouvelle-Orleans? Elle se fera triplement doubler, malgré l'avalanche de money.
Premier coup de semonce et de rein par la même occasion avec pas plus ni moins que Dieu le père de la musique black, James Brown, le Godfather of Soul, qui en fait inventa le funk. La soul musique de l'âme devenait en deux temps, trois mouvements, sex machine, musique des... du... bassin? En tout cas musique de de danse à part entière. On changeait de genre. De façon plus décisive encore avec Clinton et Funkadelic qui transformera le soul en volutes de funk anarchique jusqu'au psychédélisme absolu, tant hypnotique et planant que délirant comme dans un carnaval de... Louisiane. Et puis le funk inondera de tubes les radios des années 80 à l'instar de Kool and The Gang...
Second coup de semonce et de grosse caisse surtout d'ailleurs : l'épidémie disco dans les années 70. Pourtant à ce moment la soul music avait à peine élu son premier (et dernier) pape, Marvin Gaye, qui sut comme personne allier des dominantes apparemment inconciliables, le politique et l'érotique, la revendication et l'amour, "What's Going On" et "Sexual Healing". La disco va donc ensuite tout abraser à coup de mix et remix, juste pour la gloire du rythme, en saupoudrant des samples de soul comme des morceaux de sucre.
On connait la suite: les deux rois de la pop lorsque le vinyl existait encore, Michael Jackson et Prince, vont entretenir l'illusion d'une musique soul immaculée, en fait ils avaient bien sûr inventé le crossover que le monde entier attendait, le mélange entre l'eau et le feu, le rock et le funk. La soul en était rendue à une composante, une herbe ou une épice, comme du thym ou du colombo, la soul avait dessaoulé mais la musique black faisait danser la planète entière comme jamais...
Ce qui ressemblera au coup de grâce viendra du hip-hop, du rap et des musiques électroniques en général qui permirent de triturer en deux coups de cuillère à pot, les grands standards de la soul en les mettant au service d'artistes d'un autre temps, au flow beaucoup plus agressif et pas toujours plus inventif mélodiquement, cela dit en rapant.
Alors quid de la fierté de la communauté afro-américaine, incarnée à la perfection quelques années par le courant soul, nourri de jazz, gospel et blues? Ne reste-t'il donc qu'un seul phare vivant du nom de Stevie Wonder pour que l'on puisse être encore aveuglé par la grandeur d'âme de la soul music? Et bien Stevie est sûrement le président à vie de la soul music, lui qui avec "Happy Birthday" milita pour un jour férié en mémoire de Martin Luther King et qui sera instauré en date du 3 janvier par... Ronald Reagan.
Tout semblait perdu pour la soul, lorsque le tag Rhythm and Blues fera son grand come-back "moderne" dans les oreillettes, sous une nouvelle appellation plus courte, le R&B envahit les charts : moins rock mais bourré de funk, dance , électro et hip-hop. On ne parle plus de gospel, mais génétiquement et culturellement, le feeling est bien niché dans chaque chorégraphie et vocalise. Si vous avez un doute, priez pour Whitney Houston, Michael Jackson encore lui et embrassez Mariah Carey de ma part de près, avec tout mon coeur...
Il faut attendre le siècle suivant pour que la soul connaisse une nouvelle chance, la soul qui ne meurt jamais comme l'âme est éternelle, réapparaît sous le terme de nusoul, un nouveau style dorénavant allergique à la logique commerciale des studios, des samples et des maisons de disque, mais incorporant les nouvelles recettes de la house et de l'électro. La diva du soul-jazz est depuis toujours et jusqu'à aujourd'hui la classieuse britannique d'origine nigérienne Sade Adu, recyclant soul, jazz et musique électronique avec une classe jamais égalée sauf à certains moments lorsque Neneh Cherry aligna ses hits d'une modernité absolue.
L'acid-jazz est l'autre ingrédient qui donnera tout son arôme à la soul moderne avec notamment Incognito, Soul II ou le grand chef indien tout fou Jamiroquai.
La nusoul baptisée et étiquetée comme telle surgira à la toute fin du dernier millénaire avec une constellation presque exclusivement féminine. La femme serait-elle l'avenir de l'âme? En tout cas coup sur coup apparurent la classieuse pionnière et impératrice inclassable, Erykah Badu, labellisée Motown puis la comète mondiale plus rap, Lauryn Hill. Dans la brêche s'engouffrent de futures mégastars, telles Angie Stone, Macy Gray ou Alicia Keys, qui nous laissent tous saouls de musique soul, comme le chanta la frenchie Françoise Hardy, trop seule à enhardir la musique française dans cette voix... ©